Pourquoi sommes-nous de plus en plus nombreux à devenir Freelance ?

Cette semaine encore, deux de mes connaissances m’ont parlé de leur futur “jump” vers le freelancing. Toutes les deux quittent leur CDI, épuisées, vidées, en quête de renouveau.

Le freelance semble être devenu un passage obligé pour toute une génération en quête d’indépendance. Ça m’a interrogé. Pourquoi sommes-nous de plus en plus nombreux à lâcher le CDI pour se lancer dans l’aventure (et les montagnes russes) du travail indépendant ? Et qu’est-ce que ça dit de notre rapport au travail, de nos aspirations, et du monde professionnel tel qu’il est aujourd’hui ?

Est-ce simplement un effet de mode, encouragé par les success stories d’entrepreneurs sur LinkedIn qui clament avoir leur "SMIC à 10K" ? Ou est-ce le signe que quelque chose ne tourne plus rond dans le salariat ? Que ce modèle, longtemps perçu comme la voie de la stabilité, n’est plus à la hauteur des attentes d’une génération en quête de sens et de flexibilité ?

Une quête de liberté… mais laquelle ?

Devenir freelance, c’est souvent un élan. Un besoin viscéral de reprendre le contrôle, d’échapper à la cadence effrénée, de ne plus subir. On veut respirer, décider, et peut-être, retrouver un peu de soi-même.

En France, nous sommes plus d’1 million à avoir adopté ce mode de travail (et de vie), contre 930 000 en 2009. Une révolte douce contre l’absurde : les horaires rigides, les réunions qui s’éternisent, le sentiment de n’être qu’un rouage anonyme. On quitte le salariat en quête d’air, d’espace, d’un rythme qui nous appartient enfin.

Le Covid a agi comme un électrochoc. On a goûté au télétravail, on a compris que nos vies ne tenaient pas qu’à un bureau. Alors, on a décidé de ne pas faire marche arrière.

Le salariat : un modèle qui s’essouffle

On nous l’a vendu comme la voie royale : signer un CDI, c’était la promesse d’une stabilité, d’une carrière tracée, d’un filet de sécurité. Mais aujourd’hui, ce modèle craque de partout. Et on est nombreux à ne plus y croire.

Le désengagement est massif. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : seuls 23% des salariés se disaient “engagés” en 2024 selon l’étude annuelle de Gallup, et 67% d’entre eux iraient au travail “à reculons” selon une enquête Ipsos.

Une sensation d’être déconnecté de ce qu’on fait, de ne plus comprendre pourquoi on se lève le matin. Travailler pour une entreprise qui prône des valeurs mais qui, dans les faits, impose des heures sup' non rémunérées et des process kafkaïens, ça finit par user.

Et puis, il y a le poids du présentéisme. Être jugé sur le temps passé plutôt que sur la qualité du travail. Avoir l’impression que partir à 18h pile est un crime de lèse-majesté. Dans beaucoup de boîtes, c’est encore la règle. On reste, même si on n’a plus rien à faire. Parce que partir trop tôt, c’est mal vu.

Le management n’aide pas toujours. Entre ceux qui ne savent pas reconnaître le travail bien fait, ceux qui dirigent par la pression et ceux qui brillent par leur absence, on se retrouve souvent livré à soi-même. Sans compter les plans de restructuration, les open spaces bruyants et la fameuse “charge mentale” qui ne disparaît pas une fois la journée terminée.

Alors, on cherche du sens. À une époque où on peut travailler de partout, créer son activité, tester d’autres modèles, il est logique que de plus en plus de salariés prennent la tangente. 70 % des freelances qui ont fait ce choix ne se voient plus revenir en arrière. Et quand on voit l’état du salariat, difficile de leur donner tort.

Un marché du travail en mutation (et un peu cassé, il faut dire)

Le CDI a perdu de sa superbe. Il ressemble parfois plus à une promesse en carton qu’à une vraie sécurité. Les contrats courts explosent, le turn-over s’accélère et la précarisation devient la norme. Au cours des vingt dernières années, le nombre de CDD de moins d'un mois a été multiplié par 2,5 en France (Unédic). Le turnover a doublé en 20 ans, avec en moyenne 500 000 démissions par trimestre en 2022 (DARES). Parmi les 4,8 millions de salariés ayant signé au moins un contrat court en 2019, 38 % n'ont connu que ce type de contrat (OpenEdition). Le marché du travail n’est plus ce qu’il était, et ça se ressent.

Avec la montée en flèche du télétravail, on a découvert qu’il était possible de bosser sans être vissé à un open space bruyant. La frontière entre pro et perso est devenue floue, certains ont adoré, d’autres s’y sont perdus. Mais une chose est sûre : cette nouvelle flexibilité a ouvert des perspectives. Beaucoup se sont demandé : si je peux travailler de chez moi, pourquoi ne pas travailler pour moi ?

Et puis, il y a l’émergence des plateformes et des outils qui rendent le freelancing plus accessible que jamais. Les freelances n’ont jamais eu autant d’outils pour se rendre visibles : LinkedIn, Malt, Upwork, Fiverr… En quelques clics, on peut devenir visible, prospecter, gérer ses contrats, envoyer ses factures. Mais si l’accès au marché semble plus fluide, être sur une plateforme ne garantit pas de trouver des missions. La concurrence est rude, les algorithmes favorisent les profils déjà bien établis, et sans stratégie commerciale, difficile de transformer l’exposition en revenus. L’indépendance est plus accessible, mais elle reste un parcours d’endurance

Enfin, les entreprises elles-mêmes s’adaptent… à leur manière. Pourquoi embaucher en CDI quand on peut externaliser des missions et éviter les charges sociales ? Pour elles, le freelancing, c’est la flexibilité sans les contraintes. Un calcul rationnel, mais qui interroge : dans cette course à l’optimisation, le travail indépendant est-il un choix, ou juste le reflet d’un modèle qui ne tient plus debout ?

Les entreprises face à l'exode des talents

Et si, finalement, ce phénomène en disait plus sur l’état de nos organisations que sur les freelances eux-mêmes ? Les entreprises assistent, parfois impuissantes, à cette fuite progressive de leurs meilleurs éléments. Des profils qualifiés, compétents, qui préfèrent prendre le risque de l’indépendance (selon l’Insee, seulement 30 % des auto-entrepreneurs sont encore actifs sous ce régime trois ans après leur inscription et parmi ceux ayant réellement démarré une activité, 49 % étaient pérennes à trois ans) plutôt que de continuer à subir un cadre de travail qu’ils ne jugent plus adapté à leurs aspirations. Loin d’être une simple lubie, ce choix en dit long sur la transformation des attentes professionnelles : plus d’autonomie, plus de sens, plus de flexibilité.

Mais au lieu de se demander comment stopper cet exode, peut-être faut-il s’interroger sur les raisons profondes qui poussent autant de personnes à quitter un emploi stable. Pourquoi ces talents estiment-ils que leur épanouissement passe par une sortie du cadre salarial ? Que manque-t-il aux entreprises pour retenir ceux qui aujourd’hui choisissent la liberté ?

Plutôt que de voir le freelancing comme une menace, les entreprises pourraient le considérer comme un indicateur clé. Une invitation à revoir leur modèle, à repenser le travail autrement. Vers plus de flexibilité, plus de reconnaissance, plus de respect des rythmes individuels. Car si autant de talents préfèrent prendre le large, c’est peut-être le signe qu’il est temps de reconstruire un monde du travail qui leur donne envie de rester.

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